L’orientation spirituelle contemporaine de l’Occident – Pierre-Antoine Plaquevent

Voici l’adaptation écrite d’une conférence en ligne donnée dans le cadre du forum international « Europe-Asie : dialogue des civilisations » qui avait lieu à Perm en Russie, le jeudi 26 mai 2022. Cette intervention faisait partie du panel « Aspects spirituels du dialogue eurasien » de ce forum. Je publie ici une version plus longue en français suivie de la version plus courte de mon intervention en anglais. Intervention raccourcie en anglais qui fut traduite en russe durant ce forum.

A l’heure où l’ordre international subit des perturbations inédites dans l’histoire contemporaine, il est fondamental selon moi d’aborder l’étude des relations internationales avec une approche métapolitique. C’est-à-dire une approche qui intègre ce que le comte Joseph de Maistre (1753- 1821) désignait comme une « métaphysique des idées politiques »[1].

Cette approche métaphysique des idées politiques s’intéresse en fait à ce que l’on pourrait décrire comme une ontologie des civilisations et des cultures et donc aussi des acteurs actuels du système contemporain des relations internationales.

Si l’on cherche à saisir l’ontologie d’une culture ou d’une civilisation, nous sommes naturellement conduits à rechercher le noyau spirituel qui la fonde. Car il n’existe pas de peuples, de nations, de culture, ou d’États qui ne soient structurés par un noyau spirituel même sécularisé. L’athéisme rationaliste lui-même, qui est désormais devenu la norme culturelle commune des peuples d’Occident[2], plonge ses racines dans un ensemble d’idées et de conceptions non-rationnelles et en fait « parareligieuses ». Idées apparues dès la Renaissance de manière sous-terraine et qui commenceront de s’imposer comme l’idéologie diffuse des élites occidentales à partir des Lumières. « Lumières » dont le terme même renvoie par ailleurs à l’illuminisme et à l’ésotérisme maçonnique.

Partant de ce constat, la recherche d’un dialogue et d’une compréhension mutuelle entre cultures à une échelle continentale eurasiatique, ne peut s’établir que sur la base d’une connaissance profonde du noyau spirituel de chaque intervenant de ce dialogue. C’est là une approche réellement universelle car elle passe par le particulier, c’est-à-dire par la personnalité spirituelle propre à chaque groupe humain, pour établir la possibilité même d’un dialogue.

De plus, si géographiquement l’Europe fait partie de l’Eurasie, pour l’instant l’Europe n’est pas indépendante et fait partie politiquement de l’Occident.

Si l’on parle d’entamer un dialogue spirituel à l’échelle eurasiatique, il faut donc s’interroger en amont sur la nature des conceptions spirituelles qu’ont les acteurs politiques ou culturels qui participeraient à ce dialogue. Cela peut se résumer en une question simple : de quelle manière conçoivent-ils la nature de l’Esprit ? [3]

En Occident, au terme d’un long processus historique[4] a fini par s’imposer l’idée que la matière primerait sur l’esprit et que finalement, l’esprit ne serait qu’un stade subtil et particulièrement élaboré de la matière. Selon cette idée, la matière évolue de manière continue par elle-même et sans aucune intervention extérieure ; cela jusqu’à se complexifier au point de générer l’apparition spontanée de la conscience et de l’esprit. Dans cette vision évolutionniste d’une existence sans réelle cause spirituelle première – sans arkhè (ἀρχή) – la vie, la conscience et l’esprit ne sont que des stades successifs d’une même matière auto-créée et auto-organisée.

Une forme d’autopoïèse noétique permanente de la matière et de l’ensemble de la réalité, perçue dès lors comme un continuum panthéiste inversé. Inversé, car ici c’est bien la matière qui précède l’Esprit et non la matière qui découle de l’Esprit comme dans l’hypothèse émanationniste de type plotinienne ou brahmanique ; ni même l’Esprit qui crée la matière ex nihilo comme dans l’hypothèse créationniste des religions révélées abrahamiques. Systèmes dans lesquels le Créateur et la création ont des essences radicalement distinctes et séparées (à des degrés divers selon les traditions et école de pensée de ces systèmes théologiques).

Cette conception spirituelle moniste inversée, qui établit l’esprit comme un stade « évolué » de la matière, est celle qui sous-tend la plupart des orientations intellectuelles, technoscientifiques, politiques et sociales occidentales contemporaines.

Des personnalités fondatrices de l’actuel système de gouvernance globale qui régit désormais l’Occident sont ou ont été imprégnées par cette orientation philosophique. Parmi tant d’exemples, citons ici l’influent et éminent biologiste britannique Julian Sorell Huxley (1887-1975), premier directeur général de l’UNESCO, eugéniste et darwinien convaincu qui fut le père du terme transhumanisme. Son grand-père, Thomas Henry Huxley, ami et proche de Darwin, avait déjà forgé au XIXème siècle le terme d‘agnosticisme, précisément   dans   le   contexte de la confrontation intellectuelle entre l’évolutionnisme darwinien naissant et l’ordre spirituel établi de l’époque.

Si l’on veut dialoguer spirituellement avec la partie occidentale de l’Eurasie qu’est l’Europe, il faut avoir à l’esprit que, désormais, l’orientation spirituelle des élites occidentales est constituée par ce matérialisme spiritualiste moniste.

C’est cette orientation spirituelle qui constitue l’arrière-fond philosophique de la plupart des grandes orientations de société que poursuit actuellement l’Occident : planification écologiste et décarbonation forcée de l’économie, planification médicale mondiale, réduction planifiée de la population mondiale etc. Orientations qui ne sont d’ailleurs pas forcément toutes mauvaises (par exemple celles qui ont avoir avec l’assainissement de l’environnement) mais qui sont imposées sans alternatives ni discussions possibles et surtout par les mêmes forces qui sont généralement à l’origine des dérèglements écologiques planétaires[5].

Extérieurement l’Occident peut continuer d’être perçu comme un « club chrétien » mais c’est désormais inexact car ses élites sont essentiellement transhumanistes. L’Occident politique et stratégique est donc désormais post-chrétien et transhumaniste. Ce changement de paradigme interne à l’Occident – qui n’est pas toujours bien compris et évalué dans les sphères civilisationnelles extérieures à l’Occident – génère des problématiques d’instabilité qui ont des répercussions sur l’ensemble de la sécurité de l’ordre mondial actuel.

Car ce changement de cap spirituel de l’Occident s’accompagne – comme toujours dans l’Histoire – d’un changement d’orientation stratégique et politique qui cherche à imposer cette vue du monde matérialiste intégrale à la fois à l’extérieur de l’Occident politique mais aussi à l’intérieur, aux populations qui vivent en Occident. Des populations qui sont encore – pour une partie d’entre elles – attachées au socle de valeurs chrétiennes sécularisées qui structuraient encore l’être collectif européen jusqu’à il y a peu. Ce qui génère des perturbations politiques et sociales internes inédites dans l’Histoire contemporaine de l’Occident depuis l’après seconde guerre mondiale. Mais à l’extérieur de l’Occident politique, cette vision du monde a aussi des répercussions car elle cherche à s’imposer à l’ensemble des acteurs géostratégiques. Quand cette vision du monde matérialiste-transhumaniste n’use pas de la voie directe de la guerre ouverte, elle use pour ce faire de toute l’armature techno-politico-administrative de ce qui est présentée – avec euphémisme – comme une « gouvernance globale » mais qui constitue de fait, un système de gestion planétaire de l’Humanité par des instances supra et para-Étatiques non élues.

L’humanisme chrétien européen classique s’effondre ainsi intérieurement sous la poussée du transhumanisme porté par les élites occidentales techno-scientistes. Elites qui, tout en continuant de faire de l’Occident une forteresse du transhumanisme, cherchent aussi à transformer l’ensemble de l’ordre international en usant de la puissance de l’Occident politique.

Cette orientation post-humaniste et post-chrétienne des élites occidentales actuelles ne fait de plus que se renforcer avec le passage du temps et l’éloignement progressif de la source helléno-chrétienne qui constitue la racine spirituelle de l’Occident. Divorcées spirituellement de l’héritage réel de la civilisation européenne, les élites occidentales qui ne souhaitent même plus entamer un dialogue avec les populations dont elles ont théoriquement la charge, sont-elles seulement encore à même de dialoguer avec le monde extérieur ? Et le souhaitent-elles même seulement ?

Le seul moyen pour qu’un dialogue interculturel dépasse la phase actuelle très critique de contraction de l’ordre mondial passe selon nous par :

1/ soit un changement d’orientation des élites occidentales, ce qui nous apparait improbable au stade actuel. Il est au contraire à craindre que les élites occidentales ne se crispent toujours plus face à la montée conjointe d’une contestation géostratégique extérieure portée la Russie et la Chine et d’une contestation politique intérieure portée par la partie encore vivante spirituellement de la population occidentale. C’est ce que je désigne comme l’ « arc de crise » du globalisme, à savoir le risque systémique d’un « télescopage » des contestations internes et externes à l’Occident politique.

2/ soit un remplacement de ces élites au terme d’un processus de « crise-révolution-transformation » de la forme politique occidentale actuelle. Processus de crise extrême qui ne se fera pas sans douleurs ni répercussions pour l’ensemble de l’ordre international et d’abord pour les populations occidentales elles-mêmes.

Si les élites occidentales changent, alors un dialogue – même spirituel – sera à nouveau possible à l’échelle eurasiatique. A l’heure actuelle il s’agit en fait du côté occidental, d’un monologue ininterrompu qui scande perpétuellement les mêmes mots d’ordre matérialistes, post-spiritualistes et impérialistes.

Pierre-Antoine Plaquevent – juin 2022

The contemporary spiritual orientation of the West 

If we are talking about initiating a spiritual dialogue on a Eurasian scale, we need to ask ourselves about the nature of the spiritual conceptions of political or cultural actors who would participate in this dialogue. This can be summed up in a simple question: in what way do they conceive the nature of the Spirit ?

In the West, at the end of a long process that we believe began in the Middle Ages, emerged the idea that matter takes precedence over spirit and that, in the end, spirit is only a particularly developped stage of matter. According to this idea, matter evolves continuously on its own and without any external intervention, until it becomes so complex as to generate the spontaneous appearance of consciousness, mind and spirit. In this vision, life, consciousness, mind and spirit are only successive stages of the same self-created and self-organised matter.

This monistic view of spirit as an ‘evolved’ stage of matter underlies most contemporary Western intellectual and techno-scientific orientations. Founding figures of the current system of global governance that now governs the West are or have been imbued with this philosophical orientation. Amongst many examples, let us mention here the influential and eminent British biologist Julian Huxley (1887-1975), the first Director of UNESCO, who was an eugenicist and a Darwinian and also the father of the term transhumanism.

If we want to enter into a spiritual dialogue with Europe, the western part of Eurasia, we have to bear in mind that the spiritual orientation of the western elites is now based on this monistic spiritual materialism.

It is this spiritual orientation that constitutes the philosophical background of most of the major societal orientations that the West is currently pursuing : ecological planning and forced decarbonisation of the economy, global medical planning, global population reduction, etc. These orientations are not necessarily all bad, but they are imposed without any possible alternatives or discussion.

Externally, the West may continue to be perceived as a « Christian club » but this is no longer true. The political and strategic West is now post-Christian and guided by spiritually transhumanist elites.

It is from this perspective that a dialogue with the West of Eurasia can be envisaged, bearing in mind the current spiritual reality of the political West which unfortunately includes Western Europe.

I thank you and greet you fraternally from France.

Pierre-Antoine Plaquevent – 27 mai 2022


[1] « J’entends dire que les philosophes allemands ont inventé le mot métapolitique, pour être à celui de politique ce que le mot métaphysique est à celui de physique. Il semble que cette nouvelle expression est fort bien inventée pour exprimer la métaphysique de la politique, car il y en a une, et cette science mérite toute l’attention des observateurs». Joseph de Maistre, Considérations sur la France, suivi de l’Essai sur le principe générateur des constitutions, 1797

[2] Hors isolats de groupes humains conservateurs auxquels nous appartenons.

[3] L’esprit entendu ici comme esprit individuel ou Esprit universel, esprit de la créature ou Esprit du Créateur. Sur cette notion d’Esprit, fluctuante entre toutes, et pourtant fondamentale on consultera par exemple : « Corps, Ame, Esprit. Introduction à l’anthropologie ternaire » Michel Fromaget, 2ème édition, 2000[

[4] Processus qui selon nous commence dès le Moyen-âge avec le schisme de l’Eglise et de la romanité chrétienne en 1054.

[5] Par exemple la famille Rockefeller dont la fortune s’est construite au XXème siècle sur le pétrole et la géopolitique impériale qui lui est liée. La Fondation Rockefeller pilote aujourd’hui une grande partie de la transformation énergétique de l’industrie occidentale et elle est en pointe de la décroissance démographique au sein de la gouvernance mondiale depuis 1945.

Soros, Gates, Covid-19 : gouvernance globale et guerre civile planétaire

Chers lecteurs,

Voici un entretien d’environ 45 min réalisé avec Média Presse Info. Cet entretien brosse un tableau d’ensemble de la séquence en cours.

Parmi les thématiques abordées :

–          L’enrichissement colossal des milliardaires globalistes pendant le confinement

–          La répartition des domaines d’influence métapolitique au sein de la gouvernance mondiale entre milliardaires (Soros, Gates, Buffet etc)

–          L’affrontement global entre paléo-capitalisme (personnifié par Trump) et néo-capitalisme (Gates, Soros, Buffet, Bézos etc)

–          Les objectifs et les buts de l’opération Covid : vaccination de masse, reset économique, passage à la digitalisation totale, télé-travail généralisé, robotisation, salaire universel, décroissance démographique etc.

–          Répression des nationalistes-révolutionnaires à la faveur de l’état d’urgence sanitaire : Ryssen, Soral, Aube dorée etc

–          Contours du paysage politique de l’avenir après répression des nationalistes-révolutionnaires : globalistes vs néo-conservateurs

–          Récupération et utilisation du Covid par les différents léviathans nationaux

–          France : l’état d’exception permanent depuis 2015. Utilisation des menaces terroriste et sanitaire pour soumettre la population majoritaire malgré la déréliction de l’État que génère la soumission de nos politiques à l’agenda globaliste. Le séparatisme vient d’abord d’en-haut. Passage du politique à la cybernétique et à l’ingénierie sociale pure 

–          République actuelle = GOG – Gouvernement d’Occupation Globaliste

–       Cause réelle de la crise globale actuelle : USA de Trump se découplent de la gouvernance globale  

–          L’affrontement interne au sein de la gouvernance globale entre judéo-protestantisme pro-vie et globalitarisme trans / post-humaniste

–       USA vs gouvernance globale + Chine

–          USA : les démocrates accepteraient-ils de perdre les élections ? Le “Transition Integrity Project” démontre que non

–          Gouvernance globale et guerre civile planétaire

Discours de Pierre Antoine Plaquevent au troisième Forum de Chisinau (texte et vidéo). Multipolarité et société ouverte : le réalisme géopolitique contre l’utopie cosmopolitique. Pluriversum vs universum.

« Que l’on imagine, dans l’avenir, un État universel englobant l’humanité entière. En théorie, il n’y aurait plus d’armée, mais seulement une police. Si une province ou un parti prenait les armes, l’État unique et planétaire les déclarerait rebelles et les traiterait comme tels. Mais cette guerre civile, épisode de la politique intérieure, paraîtrait rétrospectivement le retour à la politique étrangère au cas où la victoire des rebelles entraînerait la désagrégation de l’État universel. »

Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, 1962

« Le monde n’est pas une unité politique, il est un pluriversum politique »

Carl Schmitt, La notion du politique

Le messianisme post-politique de la société ouverte et la guerre civile mondiale

George Soros et les globalistes désignent leur projet politique par les termes de « société ouverte ». Pour eux, cette société ouverte constitue bien plus qu’un idéal politique. Il s’agit en fait d’une révolution anthropologique totale qui vise à transformer l’humanité dans son ensemble et à abolir les États-nations historiques qui forment encore le cadre normatif des relations internationales. Pour rejoindre cet objectif, les globalistes usent d’une forme d’ingénierie sociale qui agit sur les sociétés humaines de manière progressive mais continue. Cette méthodologie – qui vise à une transformation furtive et ininterrompue de la société à l’insu des citoyens – a été théorisée en son temps par les pères fondateurs de la cybernétique et du marxisme culturel. Elle est aujourd’hui employée par les réseaux Soros avec une efficacité inédite dans l’histoire contemporaine. Il s’agit d’une conception supra-politique ou métapolitique qui vise à dissoudre progressivement le politique et les prérogatives des Etats-nations au sein d’un « super-Etat » mondial qui viendrait encadrer et piloter la vie de l’humanité toute entière. Une humanité conçue dès lors comme un seul œkoumène planétaire unifié et intégré.

Cette notion de « société ouverte » constitue l’aboutissement radical du processus historique de sécularisation entamé en Occident depuis la Renaissance. Un processus qui a vu se succéder différentes phases : Réforme, Lumières, Saint-simonisme, socialisme utopique, marxisme théorique, communisme des origines et bolchévisme (qui muteront en Stalinisme puis en « Soviétisme ») ; marxisme culturel et freudo-marxisme universitaire après 1945 et enfin libéralisme-libertaire après mai 68. Chaque vague de ce mouvement de sécularisation étant plus radical et plus profond que le précédent. La société ouverte comme projet métapolitique synthétise toutes les phases précédentes de ce processus de sécularisation. Elle opère aussi la jonction entre le freudo-marxisme anti-stalinien et la critique libérale des autoritarismes et de l’historicisme effectuée en son temps par Karl Popper. Aux « historicismes » platonicien, hégélien, marxiste ou fasciste, la société ouverte substitue l’impératif catégorique et téléologique de la convergence de toutes les sociétés humaines vers un « démos » planétaire unique. A une conception géo-politique et historique d’un homme différencié, elle substitue la conception universaliste et cosmopolitique d’une humanité unique et sans-frontières. Le rejet de l’historicisme propre à cette notion de société ouverte développée par Popper et radicalisé par Soros aboutit paradoxalement à un « historicisme de la fin de l’Histoire ». Une fin de l’histoire qui verrait toutes les narrations humaines converger et fusionner dans une unité mondiale du genre humain enfin réalisée. Ici pas de dialectique entre l’Un et le particulier mais bien la fusion et confusion des particularismes dans une unité ubique et planétaire.

Cette notion de Société ouverte recouvre très exactement cet universum qu’évoquait Carl Schmitt dans La notion de politique ; un universum qui en se prétendant universel tend à nier l’existence même du politique qui est par nature « pluriversel ». La société ouverte en tant qu’idéal d’une fin des altérités nationales en vue d’une paix mondiale définitive et utopique (au sens propre) constitue une négation de l’essence du politique selon la définition qu’en donne Carl Schmitt et l’ensemble des penseurs conservateurs. La société ouverte est en fait une cosmopolitique qui a comme horizon d’attente la fin de la géopolitique et la fin du politique.

D’où son recours à l’ingénierie sociale et à la cybernétique afin de contrôler par des moyens post-politiques les masses humaines dénationalisées qu’elle entend gérer. Mais, à mesure que la société ouverte dissout l’ordre normal des relations internationales en le parasitant de l’intérieur via les instances supra-étatiques et transnationales, s’installe alors une forme de guerre civile universelle dont les flammes ne cessent d’éclairer l’actualité. En témoignent les conflits contemporains qui sont de moins en moins des guerres inter-étatiques déclarées mais des conflits asymétriques et hybrides où s’affrontent les « partisans » et les pirates d’une société liquide universelle au sein de théâtres des opérations toujours plus flous, brutaux et non conventionnels. Dans l’esprit mondialiste, ces guerres sont les prolégomènes et le processus nécessaires vers une fin prochaine des antagonismes internationaux

A mesure que progresse le cosmopolitisme et son millénarisme anti-étatique, progresse de concert la guerre civile mondiale. Pour freiner cette tendance inéluctable et de manière similaire au communisme des origines, l’idéal d’une fin de l’Etat et d’une parousie post-politique aboutira de fait au retour d’un arbitraire plus violent que ce qu’aucun Etat n’aura jamais infligé à ses citoyens dans l’Histoire. Si les Etats-nations sont défaits, émergera alors un Léviathan mondial d’une brutalité inédite et sans frein. C’est à un avatar de ce Léviathan libéral que se sont heurtés les gilets jaunes en France cette année. Le Léviathan libéral protège les migrants dont il a besoin comme esclaves et pour dissoudre les nations mais il crève les yeux des français opposés aux conséquences du mondialisme. Le Léviathan macro-merkelien a besoin de plus de migrants pour empêcher les révoltes populaires et pour en faire ses auxiliaires de police contre les patriotes français. Demain, face au risque d’une contagion internationale d’un retour du nationalisme, c’est l’ensemble de l’Occident libéral qui peut se transformer en Léviathan et principalement l’Union-Européenne qui n’acceptera jamais de modifier sa forme fédérale jacobine-globaliste en une confédération d’États-nations souverains mais coopérants. L’essence du mondialisme c’est le populicide, quelle qu’en soit sa forme : sanglante sous le jacobinisme ou le bolchévisme, souriante sous sa forme actuelle. La société ouverte c’est le populicide avec le sourire. Mais un sourire qui va devenir toujours plus nerveux et contracté, à l’image de la face d’Emmanuel Macron face aux gilets jaunes.

La société ouverte et les fractures géopolitiques contemporaines 

Face à ce projet globalitaire d’une société ouverte transnationale, on observe une lutte toujours plus affirmée au sein du monde occidental entre globalistes sorosiens (type Merkel-Macron et autre Trudeau) et une tendance que je qualifierais de néo-occidentaliste (type Trump-Orban-Salvini). Cette ligne de fracture entre globalistes et néo-occidentalistes traverse tout l’Occident et s’avère déterminante quant à l’avenir du système des relations internationales. Irons-nous vers plus d’intégration globaliste ou bien l’anglosphère et ses alliés vont-ils faire bloc pour contrer une alliance stratégique eurasiatique et l’émergence d’un monde post-occidental ?

Pour avoir les mains libres dans la guerre géo-économique qui se joue entre l’empire américain et ses rivaux stratégiques eurasiatiques, il devient urgent pour les néo-occidentalistes de contenir l’influence interne à l’Occident que possèdent les réseaux Soros et à la limite de les laisser agir à l’étranger. C’est-à-dire là où ils peuvent être utiles pour aller chatouiller les géants terrestres que sont la Chine et la Russie sur leurs marches. Comme à Hong-Kong, en Ukraine, en Géorgie, en Arménie et partout ailleurs sur ces verrous-pivots du « Rimland » qui ceinturent l’« Heartland » eurasiatique. Les néo-occidentalistes (qui ne sont pas exactement les néo-conservateurs de l’époque de Bush) convergent parfois avec les sionistes de droite afin de contrer les liens qu’entretiennent les réseaux Soros et la gauche israélienne type Ehud Barak mais ils peuvent aussi diverger comme l’illustre l’éviction plus récente d’un John Bolton. A ces hauteurs du pouvoir politique occidental le vent souffle très fort et change très vite de direction …

L’affaire Epstein fût un bon indicateur de cette friction entre une gauche « sorosienne » globaliste et une droite néo-occidentaliste philo-sioniste. Dès 2015, Trump avait ainsi attaqué Bill Clinton sur sa fréquentation assidue de Jeffrey Epstein et de ses « prestations ». Dès qu’Epstein fût suspecté de détournements de mineures, Donald Trump se rapprocha ainsi de Bradley Edwards, l’avocat des jeunes victimes. Bradley Edwards affirma même que Trump fût le seul « people » à avoir agi de la sorte et que sa collaboration lui fût précieuse.

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Pompeo, Soros et l’Iran : de la nécessité vitale d’un souverainisme non-aligné.

Beaucoup s’étonnent de l’actuelle montée aux extrêmes de l’administration Trump sur la question iranienne. Malheureusement celle-ci n’est pas surprenante, elle est en fait très cohérente avec les prises de positions régulières du secrétaire d’État américain, Michael R. Pompeo. Celui-ci multiplie les allusions et les références guerrières issues de l’Ancien Testament, allant jusqu’à comparer Donald Trump à une nouvelle Esther venu délivrer le peuple juif de Haman, ce Vizir de l’Empire perse, ennemi antique des juifs. Une figure qui renvoie dans la longue mémoire juive à l’Iran actuel [1] et qu’évoquera à son tour Benjamin Netanyahu lors d’une déclaration conjointe avec Pompeo en mars 2019 : « Nous célébrons Pourim, quand, il y a 2500 ans, d’autres Perses, menés par Haman, ont tenté de détruire le peuple Juif. Ils ont échoué ; et aujourd’hui, 2 500 ans plus tard, une nouvelle fois, les Perses dirigés par Khamenei tentent de détruire le peuple Juif et l’État Juif. »[2]

Michael R. Pompeo fût aussi le premier secrétaire d’État américain à visiter la vieille ville de Jérusalem en compagnie d’un haut responsable politique israélien. Une visite historique qui constituait une reconnaissance tacite de la souveraineté israélienne sur le site du mont du Temple et de l’esplanade des Mosquées. Durant cette visite Pompeo, accompagné du Premier ministre Benjamin Netanyahu et de l’ambassadeur américain en Israël David Friedman, visita l’endroit supposé du sanctuaire du Temple de Jérusalem. Là ils purent observer ensemble « une reconstitution en réalité virtuelle du temple juif qui surmontait autrefois le mont du Temple » ainsi qu’une maquette très détaillée du futur temple présentée par l’Institut du Temple (The Temple Institute). [3]

Dans une étude à paraître prochainement, j’expose en détail l’influence des courants millénaristes évangélistes philo-sionistes sur l’administration Trump et le rôle qu’exerce Mike Pompeo en ce sens. Des courants qui viennent empêcher les promesses d’isolationnisme et de réalisme politique de l’administration Trump et qui poussent celle-ci à la guerre avec l’Iran au nom d’interprétations littéralistes de l’Ancien Testament. Des sectes protestantes pour qui la reconstruction du Temple de Jérusalem joue un rôle central dans leur vision du monde et leur idéologie.

La ligne de l’administration Trump est en fait assez claire : elle est néo-occidentaliste géopolitiquement et judéo-chrétienne sur le plan théopolitique. Elle s’oppose au globalisme sorosien quand celui-ci veut faire de l’Occident une société ouverte intégrale et dissoudre les États-Unis et ses vassaux dans un magma post-national mais elle s’oppose tout autant aux puissances géopolitiques qu’elles qualifient de révisionnistes quand celles-ci menacent l’unipolarité et l’hégémonie américaine. Cette confrontation droite Trumpienne / gauche sorosienne se double aussi d’une fracture toujours plus béante entre gauche juive globaliste et droite juive sioniste au sein du judaïsme politique international. Pour les occidentalistes judéo-chrétiens, Israël est un centre théopolitique majeur de l’Occident, peut-être plus que le Vatican. Un Vatican qui, avec le Pape François, a de toute façon choisi une orientation sorosienne et onusienne opposée à la ligne de déconstruction des institutions internationales défendue par l’administration Trump.

Lire la suite de « Pompeo, Soros et l’Iran : de la nécessité vitale d’un souverainisme non-aligné. »

Pierre-Antoine Plaquevent – Soros et la société ouverte – Interview pour le Saker Francophone

Suite à la récente note de lecture, il manquait la traditionnelle interview de l’auteur. C’est maintenant chose faite et je vous laisse découvrir les réponses de Pierre-Antoine Plaquevent à mes questions. Le Saker Francophone

PAP – Pouvez-vous vous présenter rapidement pour nos lecteurs ?

Après une longue période d’activisme politique, j’ai créé le portail métapolitique les-non-alignés.fr que j’anime depuis 2010. Cet outil m’a permis de mener pendant plusieurs années une activité métapolitique intense et multiforme. Que ce soit par le biais d’organisation de conférences, de la rédaction d’articles ou encore du journalisme de terrain et d’interviews d’acteurs politiques et culturels. Il est à noter que dans chacun de ses domaines, les non-alignés étaient en avant-garde dans la formation et la préparation politique des esprits.

PAP – Pouvez-vous aussi définir votre sous-titre, « métapolitique du globalisme » ? Quelle différence notamment faites-vous entre globalisme et mondialisme ?

Je parle d’une métapolitique du globalisme car Soros emploie des vecteurs d’influence qui ne sont pas seulement politique mais qui se déploient dans les domaines aussi divers que l’immigration de masse, la dépénalisation de l’usage des drogues, les nouvelles normes sociétales (agenda LGBT etc), l’influence médiatique, les changements de régime politiques ou la corruption des personnels politiques et associatifs. J’emploie aussi le terme métapolitique au sens où l’entendait Joseph de Maistre, c’est-à-dire dans le sens d’une « métaphysique de la politique ». Mon livre est autant un travail d’enquête et d’analyse sur les moyens et les fins des réseaux Soros qu’une étude sur l’idéologie qui sous-tend cette action. Le terme mondialisme me semble désigner principalement la sphère politique et idéologique de l’idéal cosmopolitique. Le terme globalisme désignerait plutôt l’ensemble des moyens (politique, ingénierie sociale, cybernétique etc) et des idéologies misent en mouvement par le cosmopolitisme. Une métapolitique du globalisme dont le nerf principal est constitué par une forme de millénarisme anti-étatique dans lequel s’insèrent l’action de Soros et de ses réseaux.

Le globalisme désigne une subversion globale qui touche toutes les sociétés et qui a comme projet la fin des États-nations et la fin de l’Histoire. Il s’agit d’un projet anthropologique total qui se rattache à un courant d’idées et de pratiques politiques qui modèlent et traversent toute l’Histoire contemporaine. Le globalisme a des objectifs qui sont bien plus que politiques, il poursuit des buts religieux sécularisés que j’expose dont mon étude. Il s’agit d’appréhender comment, à la confluence de la cybernétique, du soft-power et du millénarisme politique, des pouvoirs non élus ont élaboré un outil de domination et de transformation des populations qui n’a pas son équivalent dans l’Histoire. L’histoire politique de la modernité est en fait l’histoire de la montée en puissance de ce millénarisme cosmopolitique.

Le XX ème siècle fût le siècle de l’affrontement et de la victoire de la société ouverte face à ses adversaires et rivaux idéologiques. Le début du XXI ème siècle constitue la phase finale de la prise de pouvoir de la société ouverte contre les formes métapolitiques rivales.

Je préfère aussi utiliser le terme de globalisme car le mot « mondialisme » est souvent employé de manière trop approximative. Avec cette étude, j’ai voulu être le plus précis possible et dresser une cartographie détaillée des réseaux Soros autant qu’une généalogie de la philosophie politique qui sous-tend leur action.

PAP – A lire votre livre, Soros semble partout. Est-il seul ? Sert-il de porte-parole ? Et dans ce cas, quels sont les réseaux les plus puissants derrière lui ?

Bien loin du mythe d’un self made man qui ne devrait sa fortune qu’à ses seules capacités et à sa seule intuition géniale en matière de marché financier, George Soros appartient en fait au milieu d’élite de l’anglosphère. Une élite qui l’a accompagné et poussé vers les hauteurs des cercles financiers les plus influents dès les débuts de sa carrière. Un milieu très fermé où s’entrecroise la fine fleur du monde politique et financier globaliste. Soros a été soutenu dès le début de sa carrière par des financiers comme les Rothschild. Par exemple l’un des premiers contributeurs à la création du fonds d’investissement de Soros, le Quantum Fund, fût le financier Georges Karlweis qui était alors à la Banque Privée d’Edmond de Rothschild. Georges Karlweis (décédé en 2012) fut l’un des pionniers des hedge funds au travers du Leveraged Capital Holdings (LCH) en 1969. C’est ce fonds qui financera le Quantum Fund de Soros à sa création.

Évoquons aussi l’institution dans laquelle George Soros fit ses études : la London School of Economics ou LSE. Après avoir émigré au Royaume-Uni en 1947, Soros entreprendra des études d’économie à la London School of Economics, véritable pouponnière à élites mondialistes depuis la fin du XIX ème siècle. Rappelons que la London School of Economics a été fondée en 1895 par plusieurs membres de la célèbre Société fabienne — Fabian Society, célèbre club de pensée de l’élite de l’anglosphère. La LSE fut fondée en 1895 par plusieurs membres de la Société fabienne : Sidney Webb, Beatrice Potter Webb, Graham Wallas et le célèbre écrivain irlandais George Bernard Shaw. La Société fabienne est un club de pensée (un think tank dirait-on aujourd’hui) qui a vu le jour à Londres en 1884 et qui regroupait de nombreuses personnalités anglo-saxonnes de l’époque. Tout au long du XXe siècle, la Société fabienne exercera une influence prépondérante sur le monde culturel, financier et politique britannique et sera à l’origine du parti travailliste. Bien que d’orientation socialiste, la Fabian Society regroupera autant des personnalités issues du socialisme anglais tel que Robert Owen (1771-1858) que des hommes d’argent tel Cecil Rhodes (1853-1902), le célèbre homme d’affaires et homme politique britannique, fervent soutien de l’impérialisme britannique dans le monde. Impérialisme qu’il concevait, à la manière de Soros, comme l’outil de l’avancée du bien et du progrès de l’humanité.

Le célèbre auteur Herbert George Wells, auteur bien connu de “La Guerre des Mondes” ou encore de “L’homme invisible”, fut lui-même un socialiste fabien formé au sein de la London School of Economics. Il résumera en 1940 le credo libéral-socialiste des élites de l’anglosphère dans un livre au titre simple et programmatique dénommé “Le Nouvel Ordre Mondial”.

Le fait d’avoir étudié dans le berceau du socialisme fabien donnera à George Soros, non seulement les connaissances et le carnet d’adresses nécessaire afin de percer dans les hautes sphères de la finance anglo-saxonne, mais également la vision du monde de l’élite de l’anglosphère. C’est cet idéal « libéral-socialiste » d’une convergence d’un internationalisme qui se veut planificateur au niveau mondial avec la dérégulation financière agressive au niveau des États-nations qui caractérise la vision du monde de l’hyper-classe mondialiste à laquelle appartient George Soros, une hyper-classe dont il est l’un des membres influents mais surtout l’un des plus déterminés.

Cette hyper classe constitue le sommet de la hiérarchie du pouvoir politique réel. Un pouvoir constitué dans l’ordre d’importance par :

  1. la finance internationaliste (la matrice du projet cosmopolitique) ;
  2. les médias de masse (qui constitue une sorte d’église de l’opinion public) ;
  3. la technocratie et les organisations non gouvernementales (le pouvoir politique réel et non-élu) ;
  4. la politique spectacle du parlementarisme ; et enfin,
  5. les populations — le cheptel humain — c’est-à-dire nous, les sans-dents, les « gilets jaunes ».

PAP – Vu l’âge du personnage, qui va reprendre son héritage ?

Son fils Alexander Soros semble être l’héritier désigné pour prendre la succession de son empire d’ONG. Surtout à bientôt près de 90 ans, Soros a fait don en 2017 de 18 milliards (15,2 milliards d’euros) de dollars à l’Open Society Foundations (OSF). La machine devrait donc continuer sans lui malheureusement. Mais surtout l’esprit de ses fondations et de son action imprègne désormais non plus seulement l’élite politique et médiatique de l’Occident mais aussi une partie des acteurs de la société civile notamment chez les jeunes des centres urbains développés bien que cette influence soit en recul face à la montée de l’opinion « populiste » qui ronge progressivement la prison du politiquement correct depuis plusieurs années. Comme on l’a vu lors des dernières élections européennes, le « bloc bourgeois » cosmopolite et ploutocratique a encore de beaux jours devant lui mais il est toujours plus contesté partout en Occident.

PAP – Le début du livre propose une analyse de Soros beaucoup moins manichéenne qu’on aurait pu l’imaginer. Il semble plus être le fils rebelle des folies guerrières de sa jeunesse. On a même parfois une certaine empathie non pour ses idées mais pour la force de son combat. Vous a-t-il séduit par moment ?

Il y a effectivement un côté fascinant à étudier l’action et la pensée d’un tel personnage car cela nous permet de sonder l’histoire réelle des 50 dernières années. On comprend alors la trame de fond des phénomènes qui détruisent progressivement les sociétés contemporaines, déréliction morale et sociale qui nous affecte tous. Il ne s’agit pas d’un complot au sens propre mais plutôt d’un projet de société bien réel qui avance étape par étape et qui est aujourd’hui peut-être en train de se gripper. Un projet que George Soros, à la suite de Karl Popper, désigne en tant que « société ouverte » et qui nous concerne tous. La spécificité de George Soros est d’être un ardent militant de la cause mondialiste, mais aussi de posséder des velléités de marquer l’Histoire de par son action dans le monde. Il use ainsi de sa fortune non pas juste pour son bon plaisir, mais réellement dans un esprit globaliste missionnaire. C’est effectivement plus passionnant à étudier que de regarder « Games of Thrones » ou Netflix … Je veux dire, si on expliquait à nos contemporains les enjeux géopolitiques réels de notre époque, ils comprendraient que nous vivons une époque bien plus passionnante et cruciale qu’il n’y paraît. C’est aussi l’une des taches de l’écrivain politique de nos jours : tenter d’analyser et de faire comprendre la réalité du monde dans lequel nous évoluons et déchirer le voile épais de la société du spectacle.

PAP – On publie régulièrement Andrew Korybko, un écrivain russo-américain qui développe le concept de guerre hybride telle que l’applique l’Open Society. Connaissez-vous son travail ? Est-ce à la hauteur des enjeux ? Ce livre mettant Soros en lumière peut-il être un complément à son travail ?

Tout à fait ! J’ai connu Andrew Korybko par votre site et je considère ses analyses comme très éclairantes sur les enjeux géostratégiques contemporains. L’un des chapitres les plus longs de mon étude s’intitule « la société ouverte et les armes d’immigration massive » en rapport aux recherches de Kelly M. Greenhill que j’ai découvert en lisant Andrew Korybko justement. Kelly M. Greenhill et Andrew Korybko développent l’idée que les migrations de masse puissent être employées comme de véritables armes de guerre asymétriques non conventionnelles, ceci tout au long de l’histoire et particulièrement durant la période moderne. Voilà par exemple le genre d’analyse totalement complémentaire avec mon travail.

PAP – N’est-ce pas finalement un lieu commun de l’Histoire de voir des cycles de destruction pour permettre à une société de se réinventer ? Soros n’est-il que la signature d’un mal nécessaire qui va faire émerger des forces nouvelles dans une société décadente ?

L’essentiel me semble être de rétablir la narration brisée de l’Occident qui a été piraté par le programme-virus de la société ouverte. L’homme ne peut pas vivre sans objectif collectif téléologique et la société ouverte n’en constitue pas un, c’est un horizon d’attente suicidaire. Dans un chapitre intitulé « la société ouverte face à elle-même », je montre que Soros lui-même a une conscience très aiguë des possibilités d’un retour des passions collectives et religieuses face au néant et au vide engendrés par le nihilisme que génère la poursuite sans frein de l’idéal d’autonomie radicale de l’individu., objectif qui constitue l’idée-force première du cosmopolitisme globaliste. Dans un passage significatif de son livre « Opening The Soviet System », livre écrit au moment au plus fort de son implication dans la déconstruction du système soviétique à la fin des années 80, Soros écrit :

« Ceux qui sont incapables de trouver un objectif en eux-mêmes peuvent être amenés à rechercher un dogme qui fournirait à l’individu un ensemble de valeurs déjà prêt et une place sécurisante dans l’univers. Une voie possible pour se débarrasser de l’absence de but est alors d’abandonner la société ouverte. Si la liberté devient un fardeau insupportable, la société close va alors apparaître comme un salut. Nous avons vu de quelle manière le “mode critique de pensée” pose le fardeau de devoir décider de ce qui est juste ou faux, bien ou mal, sur les seules épaules de l’individu. Étant donné les imperfections de la compréhension de l’individu, il y a un nombre de questions vitales – comme celles qui concernent la relation de l’individu avec l’univers et sa place dans la société – pour lesquelles il ou elle ne peut tout simplement pas amener de réponse absolue. L’incertitude est difficile à supporter et l’esprit humain est susceptible de faire de grands efforts pour y échapper. »

L’histoire est en partie cyclique effectivement et nous arrivons à la fin d’un cycle historique, en fait un nouveau cycle a déjà commencé : celui de la sortie de la société ouverte et de la fin de la forme purement occidentale du globalisme. Sauf que l’atterrissage risque d’être très violent, nos systèmes économiques et sociaux reposent sur des équilibres complexes mais fragiles car interconnectés et interdépendants. Pour autant un retour à des formes de localisme couplés à des autonomies nationales ou continentales me semblent incontournables à terme. Volontairement ou par la contrainte, nous allons devoir retrouver le sens des limites et sortir de l’hubris globaliste. Un retour au réel que l’hyper-classe globaliste fera tout pour empêcher.

PAP – Les gilets jaunes sont peut-être le signe de la fin de cette période « dorée » et le retour aux dures réalités de la condition humaine : moins vite, moins haute, moins loin. Ne se dirige-t-on pas vers une société plus archaïque en bas de l’échelle sociale du moins, imperméable aux idées de cette Société Ouverte ?

La crise politique que traverse la France depuis novembre dernier illustre bien votre propos. Cette crise est plus qu’une crise de régime, il s’agit d’une crise systémique de la République qui s’inscrit elle-même dans une crise globale de la société ouverte comme projet de société pour l’Occident et par extension pour l’humanité entière. Le projet de société ouverte et d’État mondial auxquels souscrivent nos élites est en train de se gripper même s’il est loin d’être à l’arrêt. Le système géopolitique international est entré en crise structurelle depuis la guerre de Syrie, une guerre qui a marqué le premier moment où le rouleau compresseur du mondialisme dans sa version occidentale a dû revoir ses ambitions à la baisse et ainsi traiter avec d’autres acteurs majeurs tant au niveau militaire, que politique et diplomatique. Ce ralentissement de l’intégration globaliste sur le front syrien a eu des conséquences en cascade comme l’élection de Trump, le renforcement des tensions entre l’anglosphère et l’UE avec le Brexit, la montée d’une guerre commerciale mondiale entre Chine et US etc. Dans ce contexte international troublé, l’UE – et principalement le couple franco-germanique – deviennent de fait la base de repli du projet de société ouverte dans un contexte géopolitique international de grandes tensions y compris entre partenaires commerciaux de longue date. Un projet euro-globaliste qui est contesté au sein même de l’UE comme le montrent les dernières élections européennes. Face au risque d’affaissement du projet euromondialiste, Macron et Merkel ont tenté depuis plusieurs mois d’accélérer la marche d’une intégration franco-allemande comme môle et centre de gravité d’une Union-Européenne en difficulté. Un contexte bien résumé par cette citation de Macron lors de la signature du traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle qui actait cette étape de plus dans la construction de l’« Euro-zone » d’une gouvernance mondiale : « Nous construisons une nouvelle étape au moment où l’Europe est menacée par les nationalismes, ou elle est bousculée par un Brexit douloureux, où des chocs nous percutent ».

En France, malgré toutes les manipulations et tentatives de diversion en cours par les réseaux de la gauche (Branco, Ruffin etc) le nationalisme réel, le pays réel, ce sont les gilets jaunes. Cela le pouvoir le sait et c’est pourquoi il n’a pas apporté de solutions à l’insurrection en cours. Il n’y a pas de projet alternatif ou d’« accords de Grenelle » possible avec les gilets jaunes pour le régime de Macron ;  comme auparavant avec la « manif pour tous », la surdité du pouvoir est totale et le passage en force est la règle. Pour le régime de Macron, la France et les Français doivent être intégrés de force dans la région « européenne » de l’État mondial, quel qu’en soit le prix. Car au-delà des quelques éborgnés et mutilés gilets jaunes et des catastrophes géopolitiques en cours, il y a la promesse d’une paix universelle et perpétuelle « kantienne » qui assurera à terme le bonheur de tous … sur les ruines du monde ancien, des nationalismes et des normes traditionnelles.

La crise politique que nous connaissons actuellement est la plus grande crise contemporaine de l’intégration de la France dans le sous-ensemble européen de l’État mondial en gestation. Notre société se détruit et se recompose à mesure que le projet cosmopolitique d’intégration globaliste progresse. C’est face à cette marche en avant forcée que la partie encore vivante et non-réifiée de la population française se soulève depuis six mois.  La crise des gilets jaunes synthétise et accentue l’ensemble des crises précédentes et des résistances au projet globaliste appliqué de force à la France : rejet de la constitution européenne en 2005, rejet des lois antinaturelles comme le « mariage pour tous », rejet des politiques d’austérités européennes, rejet du bradage de notre patrimoine industriel et culturel etc. Le rejet du projet globaliste par la population est constant depuis le début du XXI ème siècle ; chaque vague de colère vient renforcer la précédente en un tsunami de colère populaire qui ne cesse de s’accumuler. Un rejet qui s’exprime toujours moins par le vote et l’élection, le système politique globaliste étant désormais complètement discrédité dans son ensemble. De l’aveu même d’un Jacques Attali la situation actuelle peut aboutir à une véritable révolution.

Les gilets jaunes ne sont que le début de quelque chose de beaucoup plus dur. Je pense que nous n’éviterons pas une reconfiguration violente du système dans son ensemble très prochainement.

La société ouverte est une utopie mortifère, elle veut créer un homme artificiel, cybernétique et au final, elle crée des asociaux grégaires mais isolés qui ne sont pas du tout préparés pour survivre en période difficile. Sommes-nous prêts à survivre à l’effondrement structurel de la société ouverte ? Avons-nous autour de nous des personnes sur qui compter et qui peuvent réellement compter sur nous ? C’est la question que chacun doit se poser de manière pressante pour lui-même et pour ses proches car l’horizon est de plus en plus chargé.

Merci Pierre-Antoine Plaquevent